Lire la chronique d' Amid Faljaoui
Les “Télémigrants” et le chagrin des cadres
Le télétravail tout le monde en parle mais en réalité personne n’en mesure encore toutes les conséquences. C’est une sorte de Kinder surprise: on sait qu’il y aura une surprise mais on ne sait pas laquelle !
C’est aussi un peu le sentiment que j’ai eu hier en découvrant l’étude du Tony Blair Institute for Global Change. Je vous résume cette étude qui a fait grand bruit en Grande-Bretagne : un emploi sur cinq pourrait disparaître dans ce pays pour cause de délocalisation. L’étude est intéressante car elle pourrait s’appliquer à la Belgique, la France ou n’importe quel pays industrialisé. En fait, si nous nous étions habitués à la mise en concurrence des cols bleus par des ouvriers de pays émergents, maintenant ce sont les cols blancs – autrement dit les cadres – qui vont être en concurrence avec d’autres cadres ou spécialistes des pays émergents. La faute à qui ? mais au télétravail selon cette étude !
En effet, le télétravail a agi auprès des patrons comme une révélation. Non seulement, ils ont compris qu’ils n’avaient pas le choix d’utiliser le travail à distance s’ils voulaient que leur entreprise continue de fonctionner, mais ils ont aussi découvert que cela marchait bien. Mais surtout ces mêmes entreprises ont découvert que certaines fonctions pouvaient être totalement assurées à distance. Et si c’est le cas, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas remplacer la main d’oeuvre qualifiée, qui a un coût social plus élevé dans nos pays, par des experts, des free-lances ou des cadres issus des pays émergents et qui coûtent 3 ou 4 fois moins chers ? Même la barrière de la langue n’est plus aujourd’hui infranchissable car des outils de traduction simultanée permettent à ces cols blancs étrangers de concurrencer leurs homologues occidentaux.
Donc, oui, le Tony Blair Institue for Global Change estime que des métiers d’ingénieurs, de comptables, de graphistes, de web designers ou de responsables marketing pourraient être délocalisés massivement, non pas demain ou après-demain mais aujourd’hui. Pour la Grande-Bretagne, cette étude parle de 18% des emplois dans le tertiaire qui sont potentiellement “délocalisables”.
Maintenant comme je n’ai pas pour vocation de vous plomber le moral, je rappelle que comme toujours, une innovation a deux facettes. La sombre, j’en ai parlé, mais ce recours à des experts moins chers à l’étranger peut aussi être une belle opportunité, notamment pour les TPE et les PME qui, elles, n’ont pas accès à des spécialistes du web, de la formation ou du marketing. En démocratisant un certain savoir-faire, ces TPE et PME vont pouvoir lutter à armes égales avec les plus grandes. Et cela, c’est une chance !
En fait, l’autre pari, plus optimiste, consiste à se dire que ces “télémigrants” pourraient faire augmenter plus vite la taille du gâteau qu’ils n’en divisent les parts. Et si c’est le cas, cela rappellera à tout le monde qu’une innovation est par définition toujours neutre, c’est un peu comme un couteau, il peut servir à beurrer votre tartine ou à….égorger votre voisin, à vous de choisir votre camp, camarade.
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